Sur la véranda d’une maison familiale à Biteng, un quartier de la ville de Yaoundé, une jeune fille scrute son téléphone, visiblement en attente d’un appel. Armandine Bidzogo attend l'appel d'un client avec qui elle est en pleine négociation pour la fourniture et l'installation des panneaux solaires. Son téléphone retentit et une fois qu'elle décroche, c'est une commerciale qu'on découvre à la place de l'ingénieure que nous connaissons. Professionnelle, rassurante mais surtout chaleureuse, elle réussit à susciter chez ce dernier, plus d'intérêt pour son produit. " Après mes études, le travail que j'ai obtenu était celui de technico commerciale, une aptitude que mes employeurs ont détectée chez moi, mais dont je n'étais pas vraiment consciente", se souvient-elle. "Cette aptitude que j'ai développé dans ladite société en 4 années me sont très utiles aujourd'hui dans le cadre de mon entreprise" ajoute-t-elle.

En effet, à 26 ans à peine sonnée, Armandine Bidzogo est la patronne de AA High-Tech SARL. Lancée en mars 2022, l'entreprise est spécialisée dans la fourniture, l'installation et la maintenance de l'énergie solaire. Un parcours brillant, mais jonché d'obstacles surmontés par une résilience à toute épreuve a fait d'elle la visionnaire intrépide qu'elle est aujourd'hui.

Parcours

Titulaire d'un bac C obtenu en 2014 au collège la retraite de Yaoundé, la dernière année du secondaire a été très difficile pour Armandine à cause de la crise financière que traversait sa famille. "Je ne pensais pas que j’allais réussir car j’étais tout le temps stressée  à cause de la maladie de mon père et cela affectait ma santé. Je n’avais pas d’argent pour payer le transport alors je marchais, car les parents faisaient déjà beaucoup d'efforts pour mes frais de scolarité et pour que je puisse avoir des fascicules”, confie-t-elle. Toute petite Armandine rêve d'être hôtesse de l'air mais à l'âge de 11 ans, la jeune fille veut être plus utile à la société et elle veut désormais exercer un métier qui appelle à plus de responsabilités. Elle jette son dévolu sur le métier d'ingénieur. Ainsi malgré toutes les difficultés rencontrées en classe de terminale Amandine décide de faire la filière mathématiques et informatique à l'université de Yaoundé 1. La majorité des étudiants de cette filière passe entre 2 et 5 ans en première année avant d'accéder au niveau supérieur, mais déterminée, Armandine valide tout en une année. Dans une classe de 1000 étudiants en première année, seule une centaine réussit et elle en fait partie.

Durant un mois et demi, tous les jours de 7h à 17h elle va baigner dans un monde d'homme où il fait si chaud que chaque personne boit au moins 5 l d'eau par jour. " tout le monde était sidéré de voir une femme dans la cellule de maintenance de la SOCAVER. A la cantine, ils me demandaient comment je fais et on m'a plusieurs fois conseillé d’abandonner. Mais au bout de trois semaines, je travaillais si bien qu'ils ne voulaient plus que je parte. Au contraire, ils me demandaient désormais comment je suis aussi habile alors que je n'ai pas pas la même force physique qu'eux. Comme si c'était juste une question de force…" raconte-t-elle amusée.

Le revirement

En 3e année, Armandine fait un choix étonnant. Au lieu de poursuivre sa formation pour devenir ingénieure  en maintenance industrielle elle choisit de faire génie électrique et télécommunications, option électronique. Sa famille, ses camarades et même certains enseignants s'inquiètent de son choix. "j'ai décidé de faire cette formation pour compléter ma première formation. Je voulais pouvoir intervenir autant sur le plan électrique que mécanique des appareils”

Personne ne l'encourage dans cette folle aventure, mais elle reste droite dans ses bottes. Confiante et prête à travailler autant qu'il faut pour réussir, au lieu de deux années, elle fait Génie électrique en une année et ressort Major de sa promotion. 

L'entreprise dans laquelle elle a fait son stage académique en électricité lui avait proposé un boulot avant même qu'elle n'obtienne son diplôme. Une fois dans cette entreprise, ce n'est pas seulement sa casquette de génie électrique qu'elle arbore. Elle est recrutée en tant que technico commerciale. Durant 4 ans, les chiffres vont augmenter progressivement de 10 à 80% de plus que ce qu'elle a trouvé dans cette société qui fournit et installe les appareils de l'énergie solaire. C'est d'ailleurs dans cette société qu'elle se forme véritablement en énergie solaire. "Je ne savais pas que je pouvais vendre autant, je vendais tellement bien et je faisais des chiffres tellement élevés que je me suis demandé pourquoi je n'ai pas fait l'école de commerce"...rire. "Au bout de la 4e année quand les chiffres étaient au top et que je rêvais de faire plus,  je devais être promue en tant que chef d'Agence. Subitement il s'est posé un problème d'âge. On m'a dit qu'à 25 ans j'étais trop jeune pour occuper ce poste, en plus je suis une femme et que ce n'était pas professionnel" ajoute-t-elle d'un ton ironique. 

Le 30 décembre 2021, Armandine quitte ce travail pour lequel elle avait un salaire de 120 000 Francs CFA par mois. " c'était un environnement où je ne pouvais pas évoluer et on ne m'appréciait pas à ma juste valeur. Face à tout cela je me suis demandée, mais pourquoi j'ai peur de me lancer moi-même sachant de quoi je suis capable et avec toutes les ressources que j'ai à ma disposition?" c'est suite à ce questionnement que Armandine Bidzogo lance la procédure d'ouverture de AA High-Tech SARL. Les perspectives de la jeune femme revêtent plus un côté social qu'économique. Armandine rêve d'électrifier gratuitement au Cameroun les zones qui n'ont pas accès à l'électricité  grâce à l'énergie solaire de son entreprise. Par ailleurs, elle souhaite donner la chance aux jeunes Camerounais d'évoluer dans un environnement où l'âge et le genre n'empêche pas qu'ils soient valorisés à la hauteur de leur travail.