«La musique  ne se fait pas en prenant un piano ou un clavier d’ordinateur, en tapant dessus pour essayer de faire les basses. Si vous ne pouvez pas jouer de la guitare comment vous pouvez composer». Cette intervention qu’on pourrait qualifier de crue, à la limite du mépris,  est celle de François Misse Ngoh. Le vétéran de la musique camerounaise s’exprimait ainsi dans le cadre du programme Entrevue Mag, diffusé sur la CRTV le 20 mars 2021. Sur les pages facebook de Crtv Web et Médiatude, cette réaction lui a valu nombre impressionnant de commentaires de la part de milliers d’internautes, qui estimaient que l’auteur de «Kaka Mulema» est un «Has Been», qui n’arrive toujours pas à comprendre que les processus de création d’une chanson ont évolué depuis son époque.


Toutefois, si cette petite pique est en partie vraie, elle trahit l’acceptation de la facilité dans laquelle certains artistes de la nouvelle génération se sont enfermés. Plus besoin d’être un auteur compositeur, ou savoir jouer d’un instrument de musique pour être chanteur. Il suffit d’avoir un ordinateur avec des logiciels adéquats. Beaucoup de chansons naissent comme ça de nos jours et ça n’inquiète pratiquement plus personne. 

Ce genre de discours, des arrangeurs comme Impérator de regrettée mémoire, n’en avait cure.

«Mon humble avis, M. Misse Ngoh sait très bien de quoi il parle. Il faut se rendre à l'évidence qu’aujourd'hui au Cameroun, nous parlons plus de buzz que de musicalité. Il n'existe même pas un rythme par lequel on peut identifier la vraie musique de ce cher et beau pays à l'extérieur, tel qu'on en a connu des années avant. Et c'est un sujet sur lequel les jeunes devraient quand même s'interroger. Est-il plus important d’être artiste ou remplir les salles sans avoir les bases ? », estime Jacky Kingue.

Ce genre de discours, des arrangeurs comme Impérator de regrettée mémoire, n’en avait cure.
Ce programmateur à qui l'on doit des tubes comme «Mathematik» des 2 Kitu, «Sangoku» de Cristy Sweet, «Amour et passion» de Lysette Onambélé, avait écœuré les légendes du Bikutsi au début des années 2010. Ces derniers l’accusaient d’avoir dénaturé ce rythme populaire, en le limitant à des arrangements faits sur ordinateur et en excluant les mélodies composées par des  guitaristes chevronnés ou des joueurs de balafon. Imperator parti, d’autres beatmarkers ont repris le flambeau. Ekié Bozeur, Phil Bill, Ivo, Onthemix arrangemento sont les nouveaux prophètes du genre. Avec leur ordinateur où leur console, Ils sont à l’origine des plus gros hits de la musique camerounaise des 5 dernières années. «Tuer pour tuer», «Do le dab», «ça sort comme ça sort», «Foup Fap» etc.


Ceux qui regrettent l’époque des Bella Njoh, Nguea Laroute, Ange Ebogo Emerant etc. décrivent cette musique comme redondante, dénuée d’originalité, car calquée sur ce qui se fait ailleurs. Mais cela plaît au public camerounais. Il n’y a qu’à jeter un œil sur les plateformes de streaming, devenues le réseau privilégié de distribution de la musique camerounaise, depuis que les artistes et leurs producteurs n'investissent plus assez d’argent pour produire des supports physiques à cause de la piraterie et du coût élevé de la production. Les projets musicaux  de la grande majorité de nos artistes sont sur Deezer, Spotify, Itunes, Audiomack, Tidal et Auxplay. Les moyens de distribution traditionnels sont désormais secondaires. À titre d’illustration, le tout premier album de Salatiel disponible depuis le 26 février 2021, a d’abord connu une sortie en ligne, avant que l’artiste ne songe à produire des supports physiques. Le même procédé a été adopté par Charlotte Dipanda pour son dernier album «CD», Sorti le même jour.  Kareyce Fotso, une artiste musicienne camerounaise a réussi à collecter 10 millions de FCFA en 10 jours en Mai 2021, en vendant son dernier single «Poyou»  à plus de 20.000 personnes par Whatsapp, à raison de 500 FCFA transférés par mobile money.


Cette omniprésence du numérique permet aux artistes de maintenir le contact avec leurs fans et de rendre leur musique accessible à tout moment, pour peu qu’on ait internet. Les réseaux sociaux sont également un outil indispensable qui permet aux fans d’être informés instantanément, sur les différents projets musicaux de leurs chanteurs préférés. Ceux-ci facilitent également le booking pour des shows. Les artistes communiquent parfois leurs coordonnées directement sur leur profil. Cette démarche s’est considérablement accrue l’année dernière, avec l’avènement de la crise sanitaire du Covid-19 qui est venu amplifier le phénomène et contraindre les promoteurs culturels à privilégier les concerts virtuels  en raison des restrictions sanitaires.